Rencontre avec la famille de Dorothy Salhab Kazemi
Ma rencontre avec Micheline Sawaya, la sœur de la céramiste et céramologue libanaise Dorothy Salhab Kazemi décédée en 1990 à l’âge de 48 ans et Juliana Khalaf Salhab (Curatrice Libanaise et parente de Dorothy) fut plus qu’un témoignage, un moment où l’on se sent très proche de l’artiste en dépit de son absence.
À la conquête de l’art
Micheline précise que sœur avait quitté le Liban pour l’Europe, son séjour en France l’a marquée autant que l’avait fait le Danemark. Elle explique qu’en fait Dorothy avait débuté son cursus scolaire dans la Littérature anglaise à l’université américaine libanaise (LAU) cependant, et ayant obtenu une bourse à Copenhague, elle décide de commencer sa carrière d’artiste. Elle se rapproche de la célèbre céramiste danoise Gutte Eriksen qui avait accepté de la prendre comme apprentie pendant deux à trois ans… Micheline arrête son récit, sourie, et comme si une image fit soudainement irruption dans sa mémoire, elle se confie : « Dans son enfance, Dorothy aimait jouer avec la boue, ce qui exaspérait notre mère qui appréciait lui faire porter des petites robes blanches.»
Retour au Liban
Dorothy, retourna au Liban… c’est justement dans son pays qu’elle avait accompli beaucoup de choses. Elle voulait y faire revivre la tradition de la poterie et de la céramique. Son objectif n’était pas de changer la façon dont elles ont toujours été conçues mais plutôt de créer un nouveau mouvement en céramique. Elle commence par attirer les amateurs d’art pour apprécier le travail artisanal. Quand elle a obtint l’intérêt qu’elle voulait, elle exposa alors ses œuvres artistiques plus ou moins artisanales où elle expérimente de nouvelles formes.
Sobriété et perfection
À ma question relative à ses procédés pour obtenir ces couleurs inégalables et uniques, la réponse était que Dorothy “utilisait beaucoup de couleurs différentes dont nous ignorons le procédé exact pour leur obtention et malheureusement, nous ne disposons pas d’un registre de son mélange de couleurs”. Elle avait étudié la chimie initialement dans une université danoise. C’est ainsi qu’elle avait sa propre façon de mélanger les couleurs. Elle utilisait un grand nombre de différents types de bleus, peut-être parce qu’elle voulait exprimer son appartenance à la région méditerranéenne. Elle travaillait avec plusieurs différentes couleurs terreuses et bien cuites. Elle cuisait sa poterie à très fortes températures (1500 degrés) et elle était la première à utiliser le grès au Moyen-Orient. Influencée par la sculpture japonaise et la sculpture anglaise du céramiste anglais Bernard Leach, ses couleurs et ses formes étaient uniques.
J’ai su à travers cette rencontre que Dorothy Salhab Kazemi était bien organisée dans son travail (ce qui témoigne de sa sobriété et perfection) mais aussi qu’en tant que personne, elle aimait prendre soin des belles choses et de tout ce qui est esthétique autour d’elle. Elle avait un style de vie simple. Au temps où elle a vécu, il n’y avait pas de pots en plastique, tout se mettait dans des pots en terre (Laban, Awarmaa, olives. Il y avait un mouvement de la poterie libanaise (Jisr el Adi, Acia). Elle était passionnée par ces éléments naturels.
« La nature » et « Être femme »
Elle a toujours travaillé sur les objets fonctionnels beaux, délicats et qui étaient un peu artisanaux. Cependant à partir des années 70, elle a commencé progressivement à faire un travail moins fonctionnel, plus esthétique et hautement artistique.
Dorothy Salhab Kazemi était la pionnière de la céramique moderne au Liban. Ses œuvres associaient tradition et modernité d’où son inspiration de l’art oriental, occidental et japonais. Ses sculptures, dans une forme érotique aux courbes lisses douces, presque charnelles, se référent à des bribes symboliques de la réalité, suggérant une fleur, une coque, un animal, le segment d’un corps. Une texture comme usée par le temps, un temps lointain, lorsque l’homme et la nature formait une unité harmonieuse.
Elle n’a jamais aimé que les gens désignent son travail d’art sensuel. Être une femme occidentalisée et influencée par la culture européenne et en même temps une femme arabe née dans les années 40, grandissant dans cette partie du monde (où les femmes ne sont pas libérées), était en quelque sorte en soi même un challenge.
Pour elle « La nature » et « Être femme » étaient des points très importants. Elle avait cette curiosité de “Qui sommes-nous ?” et “Qu’est ce que nous sommes?”.
Image: Macam